VPN sous pression : peut-on les forcer à bloquer des sites ?

par | 18 Août 2025 | Protection et vie privée

Le 18 juillet 2025, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à plusieurs fournisseurs de VPN, NordVPN, ProtonVPN, Surfshark, ExpressVPN et CyberGhost de bloquer l’accès à une douzaine de sites diffusant illégalement de la Formule 1 et d’autres évènements sportifs.
Une décision inédite en France, qui soulève une question simple : un VPN peut-il vraiment bloquer des sites ?

Nous allons tenter de répondre à cette question. Attention toutefois, nous encourageons nos lecteurs à lire l’article dans son intégralité et à ne pas faire de raccourcis. C’est un sujet complexe à prendre dans sa globalité, car derrière une apparente question technique se cachent des enjeux bien plus larges : liberté, neutralité et même la manière dont nous concevons l’avenir du web.

Contexte : Ce que dit le jugement français

Décision du 18 juillet 2025 : blocage de 12 domaines liés au streaming sportif.

Les VPN sont qualifiés d’« intermédiaires techniques », un statut jusque-là réservé aux FAI.

Délai de 3 jours prévu pour appliquer la décision, mais un appel est en cours.

Aucun blocage constaté à ce jour : les sites restent accessibles.

Les fournisseurs contestent aussi le fait que le tribunal ait refusé de transmettre l’affaire à la Cour de justice de l’Union européenne. Mais pour l’heure, le bras de fer reste strictement français.

VPN et FAI : deux rôles différents

Un fournisseur d’accès à Internet (FAI) contrôle directement votre connexion réseau. Il attribue votre adresse IP, gère les DNS et peut bloquer l’accès à certains sites dès la racine, en coupant court à la demande de connexion avant même qu’elle ne sorte de chez vous. Lorsqu’un juge lui ordonne de bloquer un site, le FAI a les moyens techniques de le faire rapidement, et souvent de façon ciblée.

Un VPN, lui, n’est pas un fournisseur d’accès. C’est un intermédiaire de transport sécurisé qui :

  • chiffre votre trafic,
  • le fait transiter par l’un de ses serveurs situés ailleurs dans le monde,
  • puis l’envoie vers Internet en le faisant apparaître comme venant d’une autre adresse IP.

La plupart des VPN ne conservent pas de logs et n’ont aucun moyen simple d’identifier ce que fait tel ou tel utilisateur.

Lui demander de bloquer un site revient donc à redéfinir profondément son rôle.

Non seulement cela nécessiterait des changements d’infrastructure (monitoring, filtrage, journalisation…), mais cela poserait aussi de sérieuses questions juridiques et éthiques : jusqu’où un intermédiaire neutre peut-il être tenu responsable du contenu qu’il transporte ?

Illustration : internaute français

A lire également : VPN sans log, qui conserve quoi ? Comparatif

Ce que disent les fournisseurs de VPN

Les VPN visés ont immédiatement contesté la décision. Leurs arguments :

  • Impossibilité technique sans logs : cibler uniquement les Français est incompatible avec leur architecture.
  • Atteinte à la vie privée : mettre en place un filtrage reviendrait à tracer les utilisateurs.
  • Risque d’overblocking : une IP bloquée peut héberger aussi des services légitimes.
  • Charge disproportionnée : maintenir ces listes à jour serait lourd et coûteux.
  • Précédent dangereux : aujourd’hui le sport, demain peut-être d’autres contenus.

Ils ont fait appel.

Comment un VPN pourrait bloquer un site ?

Méthode Principe Avantages Limites
Blocage DNS Empêche la résolution de certains noms de domaine. Facile à mettre en place. Contournable en changeant de DNS.
Blocage IP Interdit la connexion vers certaines adresses IP. Simple et efficace à court terme. Bloque tout le monde, pas seulement les Français.
Inspection de trafic (DPI) Analyse des flux pour détecter certains contenus/protocoles. Granularité fine possible. Très intrusif, contraire à la neutralité du service et à la confidentialité en ligne.
Blocage par serveur de sortie Filtrage appliqué uniquement sur les serveurs situés en France. Respecte la loi locale sans impacter tout le réseau. Incompatible avec la neutralité d’un VPN et techniquement impraticable pour un fournisseur sans log comme Proton ou encore NordVPN
Ciblage par moyen de paiement Restreindre les comptes identifiés comme « FR » via CB/PayPal/App Store. Cible les clients français sans logs IP. Imprécis (expats, Revolut/Wise, crypto), contournable, risque RGPD.

Pour l’utilisateur, qu’est-ce que ça change actuellement ?

RIEN, du moins pour l’instant.

Aucun blocage n’a été observé : les sites visés restent accessibles via les VPN concernés. Ni les performances, ni les paramètres n’ont été modifiés à ce jour.

En cas de blocage futur, les utilisateurs le sauraient très vite : erreurs de connexion, sites inaccessibles depuis certains serveurs, ou impossibilité de contourner un géoblocage habituel.

Mais pour l’instant, les fournisseurs de VPN fonctionnent comme avant.
Le bras de fer se joue pour l’instant entre les VPN et la justice, en coulisses, pas dans votre interface.

Illustration : serveurs VPN détruits

Pour conclure

Même si, en théorie, un VPN pourrait bloquer des sites, dans la pratique ce serait un casse-tête ingérable. Chaque tentative soulèverait des problèmes de neutralité, de confidentialité, de sécurité ou d’efficacité. Et surtout, cela remettrait en cause la raison d’être des VPN : être des intermédiaires neutres, chargés de transporter les données de façon sécurisée, sans discrimination.

Si demain ils se mettaient à filtrer ou à bloquer sur ordre d’un tribunal, cela ne passerait pas inaperçu. Pire : cela briserait la confiance des utilisateurs et, avec elle, tout leur modèle économique.

Mais alors, que se passera-t-il si les États insistent ?
En Russie, depuis 2017, seuls les VPN enregistrés et approuvés par le Roskomnadzor (le service fédéral de supervision des communications) sont autorisés. Pour obtenir ce statut, ils doivent coopérer avec les autorités… et filtrer les sites interdits par le gouvernement. Inutile de vous dire que ni Proton VPN, ni CyberGhost, ni NordVPN, etc… n’en font partie.

Verrons-nous émerger en France ou ailleurs une version « certifiée » du VPN, encadrée, filtrée, et peut-être labellisée par une autorité nationale ?
Ce serait une bascule forte.

Chaque jour, vous êtes de plus en plus nombreux à consulter nos pages et à nous poser des questions pour comprendre comment sécuriser vos données personnelles et réduire votre suivi en ligne. Merci pour votre intérêt et vos nombreux partages !
A propos de l'auteur : Mina

A propos de l'auteur : Mina

CoFondatrice de VPN Mon Ami

Chasseuse de bug dans son quotidien, Mina teste tous les outils de cybersécurité, anciens et nouveaux, que nous vous faisons découvrir.

Share This